Chapitre 12 – Le jour qu’ils redoutaient

Bon, je commence par quoi ? Les suites du baiser, ou du cambriolage ?

Question purement rhétorique, on sait tous très bien ce que je vais choisir. Même si c’est compliqué de rendre justice à la scène et à ce que j’ai éprouvé alors…

J’ai senti le sang quitter mon visage alors que je posais mes lèvres sur celles de Rémi. Vous connaissez cette sensation de vertige que l’on ressent quelque part entre la gorge et l’arrière des yeux ? C’était si enivrant que pendant quelques secondes, j’aurais juré nager dans le ciel, et non pas dans l’eau. Ses lèvres offraient un contraste tiède alors que je frissonnais dans l’eau froide de la piscine. Passé l’effet de surprise, il m’a rendu mon baiser et a passé son bras dans mon dos. Je crois que, quelque part dans ma poitrine, j’ai ressenti une explosion. Mon cerveau, lui, était parti loin, voyageant à travers le temps et l’espace, cherchant toujours frénétiquement une trace de vie antérieure entre nos deux âmes. Les larmes me sont montées aux yeux, sans que je l’explique, mais je sentais la peur panique de finir ce baiser, l’angoisse que tout s’arrête si j’ouvrais les yeux.

Merci à mes premiers tipeurs pour leur soutien et leur aide dans la réalisation de ce projet : Alexandra, Marie-Georges1, Steph et Domi, Jade, Ccalyy, Sadout, Clem, Ludooooo, Stéphane et Jean-Mi <3 

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Bon, je commence par quoi ? Les suites du baiser, ou du cambriolage ?

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Question purement rhétorique, on sait tous très bien ce que je vais choisir. Même si c’est compliqué de rendre justice à la scène et à ce que j’ai éprouvé alors…

J’ai senti le sang quitter mon visage alors que je posais mes lèvres sur celles de Rémi. Vous connaissez cette sensation de vertige que l’on ressent quelque part entre la gorge et l’arrière des yeux ? C’était si enivrant que pendant quelques secondes, j’aurais juré nager dans le ciel, et non pas dans l’eau. Ses lèvres offraient un contraste tiède alors que je frissonnais dans l’eau froide de la piscine. Passé l’effet de surprise, il m’a rendu mon baiser et a passé son bras dans mon dos. Je crois que, quelque part dans ma poitrine, j’ai ressenti une explosion. Mon cerveau, lui, était parti loin, voyageant à travers le temps et l’espace, cherchant toujours frénétiquement une trace de vie antérieure entre nos deux âmes. Les larmes me sont montées aux yeux, sans que je l’explique, mais je sentais la peur panique de finir ce baiser, l’angoisse que tout s’arrête si j’ouvrais les yeux.

Combien de temps sommes-nous restés là ? Aucune idée. Un carreau de la verrière de Tanim a explosé sous l’effet de la chaleur des flammes, nous ramenant à la réalité. Nous sommes sortis de l’eau dans un même mouvement et j’ai dégotté deux peignoirs oubliés pour nous sécher. Rémi a récupéré le sac contenant les disques et nous nous sommes prudemment éclipsés par la baie vitrée ouverte.

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Je croyais avoir du mal à dormir depuis que j’avais rencontré Rémi. Ce n’était rien comparé aux insomnies formidables que je fais maintenant. Je repasse la soirée en boucle, jusqu’à me donner l’impression de l’avoir rêvée. J’ai envie de lui envoyer mille messages, mais en même temps, les plus beaux poèmes, les plus célèbres discours et les plus grandes œuvres littéraires ne me sembleraient pas dignes de figurer dans cette relation. J’ai envie d’envoyer des messages vides, je voudrais le voir, mais pour ne rien dire. C’est un sentiment à la fois grandiose et incroyablement frustrant.

Mais cela me laisse du temps pour réfléchir à l’après. L’après-cambriolage, j’entends. Les disques, clés USB, photos et carnets sont toujours dans le sac, dissimulés dans un carton, au fond d’un placard où je jette les décorations de Noël, une fois les fêtes finies. C’est beaucoup de précautions, je sais, mais on n’est jamais trop prudent. Je ne crois pas que Tanim pensera à moi, vu le nombre d’ennemis qu’il semble avoir, mais je ne peux pas non plus avoir une foi aveugle dans le silence de Judith. Peut-être que, malgré notre mascarade, il saura la convaincre de nous décrire et qu’il retrouvera ma trace. Vu les éléments en ma possession, je l’imagine plutôt engager quelqu’un de discret pour retrouver ses biens, et laisser la police de côté. Mais, encore une fois, je n’en sais rien. Et je ne sais pas non plus quoi faire des objets volés lors du cambriolage.

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Impossible de nous réunir dans un café ou tout autre lieu public et Rémi comme moi sentons qu’il est trop tôt encore pour s’inviter nonchalamment l’un chez l’autre. Oui, même s’il s’agit de décrypter des données recueillies pendant un cambriolage-incendie. Chacun ses limites, me direz-vous.

Il me donne rendez-vous à une adresse inconnue, un peu à l’extérieur de la ville. Quand je le rejoins, je me rends compte que je suis déjà passée plusieurs fois devant l’endroit, en voiture. Il s’agit d’une ancienne conserverie de poisson. Je m’étais souvent dit que le bâtiment en béton était plutôt lugubre, mais qu’il ferait probablement un merveilleux site d’urbex. L’odeur de poisson pourri, encore bien présente, m’avait cependant fait repousser l’échéance plusieurs fois.

Rémi m’attend devant, ordinateur portable en bandoulière et écharpe remontée sur le nez.

« Tu n’avais pas plus agréable, comme salle de réunion ? », je lance sur un ton taquin.

« L’odeur te gêne ? C’est pourtant toi qui sautes à pieds joints dans les cadavres d’animaux pourris. Je pensais que ça te plairait. »

Mouchée, une fois de plus. J’ouvre la bouche un peu bêtement et son sourire m’empêche de trouver une réplique appropriée. Tant pis, il est déjà en train de franchir un grillage troué, de toute façon. Je le suis à travers les ronces et hautes herbes de la friche entourant l’usine.

« On ne croisera personne ? », je demande pour meubler le silence.

« Normalement non. L’odeur et le froid dissuadent les squatteurs et il y a très peu de visites pendant la journée, en semaine. »

Il a raison. Nous entrons dans le bâtiment, mais ne croisons pas âme qui vive. Par mesure de précaution, nous nous enfermons dans un ancien bureau de cadre, à l’étage de l’usine. A travers les vitres sales, nous avons une vue de l’ensemble des cuves et machines aujourd’hui rouillées et trouées. Si quelqu’un approche, nous le remarquerons rapidement.

Je délaisse le vieux matelas jaune qui occupe un coin de la pièce et m’assieds sur un petit meuble à tiroir en fer, près des restes de bureau. Rémi a posé son ordinateur dessus et pianote debout. Pendant qu’il inspecte le portable et les différents clés et disques, je me concentre sur le carnet. C’est un répertoire, avec des noms dans le désordre et certaines entrées soulignées et accompagnées de dates et heures. Je vérifie quelques noms au hasard à l’aide de mon smartphone et découvre qu’il s’agit principalement de personnes internes à l’entreprise de Tanim. Étrange… Pourquoi garderait-il ces contacts dans un répertoire physique ? Je vérifie le profil professionnel des noms trouvés et compare leur date d’entrée dans l’entreprise avec les dates du carnet. Ces dernières sont antérieures à leur date de prise de poste. Il s’agirait d’horaires pour des entretiens d’embauche ? Pour en avoir le cœur net, je cherche mon nom. Rien, évidemment. D’ailleurs, je dirais que 90 % des noms du carnet sont à consonance masculine et à des postes trop importants pour que ce soit Tanim qui leur fasse passer des entretiens.

Je me redresse un instant et frotte mes mains qui s’engourdissent. Il y a un bidon contenant des bûches calcinées dans ce bureau, vestige d’un passage de squatteurs, mais j’ai vu assez de feux récemment, je ne vais pas tenter de relancer le foyer.

Je fixe le carnet, comme si j’espérais que la solution apparaisse sur sa couverture. Qui peuvent bien être ces personnes ? Il s’agit de membres d’un réseau, certainement. Un réseau de pistonnage ? Ça n’aurait pas grand-chose de répréhensible. Mais mon instinct me souffle que ce n’est pas tout. Pourquoi garder ces contacts dans un carnet physique, plutôt que dans un portable ? Les dates indiquées remontent à trois ans, tout au plus, ce n’est donc pas un vieux carnet. Et les contacts ont tous cette même caractéristique : ils avaient rendez-vous avec Tanim avant leur entrée dans son entreprise. Autre point étrange : s’il s’agit bien de « pistons », pourquoi Tanim offrirait-il des postes à autant de monde ? Ce serait suspect, au sein d’une même boîte, non ? Et cela fait trop de contacts professionnels au sein d’une même boîte. Quel serait son intérêt ?

Je sors les photos trouvées dans le tiroir de Tanim et les étale devant moi, à la recherche de visages correspondant aux portraits des membres du réseau trouvés sur Internet. Rien. Les personnes photographiées ont l’air plus jeunes, en réalité. Il s’agit surtout de quarantenaires et je vois autant de femmes que d’hommes.

« Rémi, tu peux me laisser l’ordinateur une seconde ? »

Il s’écarte et jette un œil à ma recherche, par-dessus mon épaule. Je prends l’un des portraits volés à Tanim et le scanne à l’aide de mon téléphone. En quelques secondes, j’ai transféré le fichier sur l’ordinateur et fait une recherche d’image inversée sur Internet. Bingo ! La femme prise en photo en petite tenue est une ancienne responsable de l’entreprise de Tanim. Ouahou ! Son parcours professionnel est impressionnant ! A trente-cinq ans à peine, elle était déjà devenue DRH. Elle est partie dans une autre entreprise depuis, pour un poste moins important. Je vérifie : la personne qui l’a remplacée fait partie du fameux réseau de Tanim.

Je scanne d’autres photos et répète le procédé. Certaines photos ne donnent rien, car pas assez nettes, mais sur l’ensemble, deux grandes tendances se dégagent. Les clichés représentant des femmes sont le plus souvent des personnes travaillant ou ayant travaillé dans l’entreprise de Tanim, à des postes haut placés. Celles parties ont pour beaucoup été remplacées par des membres de son réseau, ou par leurs fils, neveux, cousins… Intéressant.

Les hommes photographiés, eux, sont presque exclusivement des personnalités politiques. C’est bien plus surprenant. Il y a des adjoints de mairie, des députés, même un secrétaire d’Etat… Tanim convoiterait-il de nouveaux domaines ? Si c’est le cas, il dispose déjà de bons moyens de contrôle.

Je rends l’ordinateur à Rémi.

« Alors, que t’ont révélé les photos ? », demande-t-il.

« Ça mériterait de faire de plus amples recherches, mais je crois que Tanim a des ambitions politiques. Si c’est le cas, vu ses délires de domination, j’ose à peine imaginer les dégâts qu’il pourrait faire… Mais il y a autre chose : il remplace les femmes haut placées de son entreprise par ses contacts masculins. »

J’ai une pensée pour Blandine. Elle qui se réjouissait de prendre de l’importance dans son travail, elle n’imagine pas une seconde ce qui l’attend dans son ascension.

J’ai une inspiration, soudain. Je fais une recherche en utilisant un nom du carnet et un nom tiré des photos. Après quelques essais infructueux, je finis par obtenir un résultat, puis plusieurs. Je lève les yeux vers Rémi.

« Je crois que c’est un vaste réseau de chantage. Les personnes dans ce carnet sont ou ont été engagées en politique. Ils sont proches des personnes en photo, ils ont même été leur mentor, pour certains : j’ai trouvé des articles en ligne qui en parlent. Je ne suis sûre de rien, mais je crois que les personnes du carnet échangent des photos compromettantes d’hommes politiques contre des « planques » dans l’entreprise de Tanim. Eux peuvent prendre leur retraite politique en toute quiétude pendant que Tanim prépare son arrivée. Un échange de bons procédés, en somme. »

L’idée me paraît trop tordue pour être vraie. Mais ça expliquerait l’angoisse que j’ai sentie chez Tanim concernant ces photos. Si cette découverte était publiée dans un journal, Tanim et ses contacts peuvent tous dire adieu à un quelconque avenir.

« Tu as trouvé d’autres éléments, dans les disques ? »

Rémi laisse retomber lourdement sa main sur le clavier de son ordinateur.

« Rien. Deux clés USB n’étaient pas protégées, mais elles contenaient seulement des présentations de produits ou des chiffres sans grande valeur pour nous. Les disques durs et le portable, eux, sont précautionneusement cryptés, ça va au-delà de mes compétences.

– On s’y attendait, de toute façon. »

Je pousse un long soupir. Je ne sais pas ce que j’imaginais, pour après le cambriolage. Mettre les éléments volés en ligne ? Ce n’est pas comme si j’étais une journaliste reconnue : l’information ferait l’effet d’un pétard mouillé et je me retrouverais en prison pour cambriolage avant d’avoir le temps de dire ouf. Contacter François pour transmettre les infos aux bons journalistes ? C’était le plan, à la base, mais au vu des éléments trouvés, ça me gêne… Je suis sûre que le scandale se concentrerait sur les noms apparaissant sur les photos ou dans le carnet. Tanim est un tout petit joueur, à côté. Mais c’est lui que je veux faire tomber. Je veux que tout le monde sache ce qu’il a fait aux différentes femmes qu’il a pu croiser. A moi, à son assistante, aux femmes sur les photos qui ont dû quitter leur entreprise… Mais on manque encore d’informations sur ce sujet et je suis convaincue que je peux trouver ce qui nous manque dans les disques.

« Sinon, je connais quelqu’un qui pourra peut-être nous aider… », souffle Rémi.

Je tourne la tête brusquement.

« Qui ?

– Tu te souviens, quand je t’expliquais que j’avais déjà joué les « justiciers » avec des amis, avant ? Il y en a un dans le groupe qui s’y connaît très bien en informatique. On pourrait lui demander.

– Il ne posera pas de questions ?

– Si, probablement. Mais il y a autre chose… »

Il se frotte la nuque, embarrassé. Qu’est-ce qui peut bien le gêner, alors que l’on vient déjà de commettre un crime ? Je croise les bras, nerveuse, et attends qu’il veuille bien parler.

« Tu le connais, Angèle. C’est Malik.

– Malik ? Le colocataire de Romuald ?

– Oui. Je suis désolé de ne pas t’avoir dit avant que je le connaissais, mais tu comprendras qu’on ne parle pas trop de nos escapades. »

Je me rappelle : j’ai parlé de Malik, Claire et Isidore lors de notre rendez-vous au Ginger Dinner, alors qu’on apprenait à se connaître avec Rémi. Je lui parlais du repas de Thanksgiving, je ne sais plus trop pourquoi, et le métier des colocataires de Romuald est venu sur le tapis.

L’air contrit de Rémi me fait éclater de rire.

« Ce n’est que ça ! A entendre ton ton solennel, j’ai cru qu’on allait devoir tuer quelqu’un ! »

Il se détend immédiatement et enfourne les disques dans le sac. Son sourire est réapparu, à ma plus grande joie.

« J’avais peur que tu le prennes mal. J’ai horreur de mentir, même par omission. On va le voir, alors ?

– Quoi, maintenant ? »

Il hausse les épaules.

« Tu as autre chose à faire, tout de suite ? Le temps qu’on arrive là-bas, il devrait être rentré du boulot.

– Euh… Attends. Une minute. »

Ce n’est pas Malik, mon problème, mais Romuald. Je connais son emploi du temps par cœur, je sais qu’il sera là. Comment réagira-t-il s’il me voit débarquer chez lui avec un inconnu, en demandant à parler à son colocataire pour une affaire top secrète ? C’est bien simple : il ne me laissera pas entrer tant que je ne lui aurais pas donné d’explication qui le convainque. Je trépigne déjà d’impatience rien qu’en imaginant son air buté dans l’encadrement de la porte.

« Rémi ? Ça ne te dérange pas si j’y vais seule ?

– Non, bien sûr. Pas de problème. »

Je préfère y aller par degrés, avec Romuald. D’abord, je lui explique pourquoi je dois voir son colocataire. Ensuite, je lui présenterai Rémi. Dans un second temps. Éloigné. Plus tard. Jamais. Le problème avec mon meilleur ami, c’est qu’il casse un peu la magie des débuts avec son réalisme, même si techniquement, ça part d’une bonne intention. Je ne veux pas qu’il entache cette relation naissante, même si c’est parce qu’il veut le meilleur pour moi. Et je suis sûre qu’un compagnon de cambriolage n’est clairement pas ce qu’il avait en tête.

Je récupère le sac avec les disques et glisse le carnet et les photos à côté.

« Je passe le bonjour à Malik de ta part, alors ?

– On a tous un autre nom, quand on joue les justiciers. Dis-lui que Thomas lui passe le bonjour, il comprendra mieux. »

Nous retraversons l’usine en sens inverse et nous séparons devant l’entrée. Romuald habite à trois kilomètres à pied. Ça me laissera le temps de préparer l’histoire à lui raconter.

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« Attends Angèle… Tu ne peux pas débarquer chez moi en sentant le poisson pourri, habillée comme si tu avais choisi tes vêtements dans le noir et demander à voir Malik sans rien m’expliquer. »

Je soupire exagérément. Oui, Romuald, je te connais, je n’y comptais pas.

« Mais est-ce que je peux au moins prendre une douche et te piquer des vêtements avant, s’il te plaît ? Repasser chez moi me faisait un trop gros détour et je veux parler à Malik le plus rapidement possible. »

Il acquiesce et me tend une tenue prise dans ses affaires. Quinze minutes plus tard, je suis présentable.

« Alors ?

– Allons dans ta chambre. C’est un peu long à expliquer. »

J’avais déjà raconté à Romuald mon rendez-vous avec Rémi au Ginger Diner. Mais j’avais omis la rencontre avec Mado et la réflexion qui en avait découlé. J’avais besoin de la période des vacances pour mûrir l’idée, j’imagine. Quand je lui raconte le cambriolage, je vois mon meilleur ami pâlir, mais il reste silencieux. J’évite de trop mentionner le nom de Rémi, pour éviter qu’il ne rejette la responsabilité de mes actions sur lui.

« … et du coup, maintenant j’ai besoin de Malik pour récupérer les données des disques. Tu as toute l’histoire ! On peut aller le voir, maintenant ? »

Comment réagirais-je si j’apprenais que ma meilleure amie commet des cambriolages au nom de la justice ? Je flipperais, j’imagine. Mais Romuald reste très calme. Il ne dit rien, se lève et m’invite à le suivre, alors qu’il va frapper à la porte de Malik. Sa réaction est plus déconcertante que s’il s’était mis à hurler. La voix de son colocataire perce à travers la porte.

« Oui ?

– Malik ? J’ai du boulot pour toi !

– Entre ! »

En pénétrant dans la chambre de Malik, je ne peux que remarquer l’imposante installation informatique trônant sur près de la moitié de la surface de la pièce. Les différents écrans, claviers et tours scintillent et cliquettent alors que leur propriétaire ferme prestement un logiciel de montage vidéo. Je n’ai pas le temps de voir ce sur quoi il travaille. Malik fait tourner son siège en ouvrant les bras, comme un parrain de la mafia heureux de retrouver ses acolytes.

« Que puis-je faire pour vous, mes amis ? Une amie célibataire à accompagner en rendez-vous ? Un goujat du web à ridiculiser ? Demandez à Malik, il saura vous aider ! »

Il affiche un grand sourire qui fait pétiller ses yeux verts foncés. Avec sa peau mate, ses cheveux crépus aux pointes dorées et son look décontracté, il me donne toujours l’impression de revenir d’une session de surf à la plage. Romuald a un sourire et secoue la tête. Il tend mon sac à Malik.

« Des disques durs à cracker et un directeur d’entreprise à faire tomber. C’est dans tes cordes, il paraît. »

Romuald lâche dramatiquement le sac sur les genoux de son colocataire. Le sourire de Malik a disparu, il jette un regard affolé dans ma direction avant de fixer Romuald.

« Elle sait. Et avant que tu ne m’engueules, ce n’est pas moi qui lui ai dit. Je t’ai déjà dit que je respecte vos « activités extra professionnelles », à vous trois, mais je ne veux rien avoir à y faire. »

J’interviens.

« Thomas te passe le bonjour. Il paraît que vous aimez bien jouer les justiciers ensemble, de temps en temps. C’est lui qui m’a dit que tu pourrais m’aider. »

J’entends Malik marmonner un « cet enfoiré va voir la prochaine fois que je le croise », mais il sort les disques durs, le téléphone et les clés USB du sac.

« Explique-moi d’abord ce que tu attends de moi, Angèle. Et pourquoi ? »

Je lui retranscris l’entretien avec Tanim, les conséquences de son geste sur ma vie et le cambriolage qui a suivi. Dans mon récit, je prends soin de remplacer le prénom de Rémi par celui de Thomas : je ne suis pas sûre d’avoir le droit de révéler le vrai nom de mon compagnon. J’en viens enfin à nos recherches, cachés dans la conserverie abandonnée. J’hésite un instant, mais je lui expose les résultats de ma réflexion sur les photos et le carnet. J’ai eu raison : cela a l’air de l’avoir convaincu.

« Aaaah ! Des intrigues politiques ! Mes préférées ! Hey Isidore ! Viens voir ! »

Le deuxième colocataire s’arrête sur son chemin pour rejoindre la salle de bain. Il se glisse dans le peu d’espace restant dans la chambre avec un petit signe de tête dans ma direction en guise de bonjour.

« Angèle ici présente nous confie une mission fort intéressante. Des disques durs qui peuvent faire tomber de grands responsables d’entreprise et quelques politiques au passage. Ça t’intéresse ? »

Isidore est l’exact opposé de Malik. Il est aussi réservé et taciturne que Malik est extraverti et bavard. Le premier doit se baisser pour franchir les portes, alors que son colocataire est légèrement plus petit que la moyenne. Leur seul point commun ? Leurs yeux verts. Et leur métier, évidemment. Isidore lâche un « ouais » laconique. Malik lui lance le portable et l’un des disques durs.

« Pourquoi j’ai forcément le portable ? Tu sais que c’est ce qui prend le plus de temps à cracker.

– Parce que pendant que tu t’en occupes, moi, je vais aller présenter Angèle aux bonnes personnes. Qu’en penses-tu ?

– Ce n’est pas à moi qu’il faut demander, mais à elle. »

Les deux colocataires me fixent en même temps, alors que je bafouille. Je consulte Romuald du regard, mais celui-ci hausse les épaules dans un geste signifiant clairement « ah, maintenant, c’est ton problème ».

Je finis par dire :

« C’est qui, ces « bonnes personnes » ? »

Malik balaye négligemment une poussière de son accoudoir.

« Oh, tu sais, des gens. Des hommes, des femmes, qui savent comment utiliser ce genre d’informations correctement. Tu sais déjà ce que tu feras des données que l’on va extraire ? Et des photos et carnets que tu as volés ? »

Je mets une seconde de trop à répondre. Il sait.

« Non, donc. Ecoute, je te propose de t’emmener avec moi, la semaine prochaine. Je te présenterai seulement et tu pourras même choisir un pseudo, si ça te chante. Tu décideras sur place si tu veux partager les informations que tu as recueillies et personne ne t’inquiétera avec ça. Deal ? »

Je jette un autre coup d’œil à Romuald.

« Tu peux lui faire confiance. Vas-y. »

Je me retourne vers Malik.

« Ok, deal.

– Parfait. Rejoins-moi ici jeudi prochain. Entre-temps, Isidore et moi allons voir ce que l’on peut extraire des appareils que tu nous as apportés. »

Je sors de la chambre, accompagnée par Romuald. La porte claque derrière moi. Main sur la poignée, je me demande déjà dans quoi je me suis embarquée, encore.

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6 commentaires sur “Chapitre 12 – Le jour qu’ils redoutaient

  1. Sympa! C’est difficile de m’embarquer dans un univers mais j’avoue que je me suis laissée embarquer dès le début du chapitre. Tu décris les émotions vraiment bien!!!

    1. Merci pour ton commentaire ! N’hésite pas à utiliser la version audio pour rattraper, c’est plus simple quand on veut juste s’asseoir et se détendre 😉

  2. J’ai lus une petite partie, je vais plus m’y prendre des demain quand les enfants serons à l’école ça me plait bien , je suis pas trop lecture mais cette année je me met dedans j’adore les livres …

    1. Ravie si cette lecture peut t’emmener un petit moment de détente dans tes journées chargées <3 Sinon n'hésite pas à consulter les versions audio, ça permet de faire plusieurs choses à la fois 🙂

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