Chapitre 27 – Le jour des soldats

 

J’abats les brins d’herbe à grands coups de bâton comme s’ils m’avaient personnellement offensée. Je hache les tiges de pissenlit et prends plaisir à voir les aigrettes voleter dans le vent léger, comme si elles me fuyaient. C’est un jeu enfantin, mais j’y mets le plus grand sérieux. Tout pour passer mes nerfs.

Sur le sentier, derrière moi, Rémi se concentre sur ses pieds et me laisse me défouler sans commentaire.  Quand je lui ai dit que j’avais besoin de prendre l’air, après mon dernier échange avec Romuald, il a aussitôt préparé un sac de randonnée et m’a conduite ici, de retour dans la montagne. J’aime nos échappées, d’autant quand le printemps fait éclater les paysages autour de nous. Oui, quelque part, c’est fuir. Mais j’avais besoin de me recentrer et surtout de reprendre la photographie trop longtemps délaissée.

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J’abats les brins d’herbe à grands coups de bâton comme s’ils m’avaient personnellement offensée. Je hache les tiges de pissenlit et prends plaisir à voir les aigrettes voleter dans le vent léger, comme si elles me fuyaient. C’est un jeu enfantin, mais j’y mets le plus grand sérieux. Tout pour passer mes nerfs.

Sur le sentier, derrière moi, Rémi se concentre sur ses pieds et me laisse me défouler sans commentaire.  Quand je lui ai dit que j’avais besoin de prendre l’air, après mon dernier échange avec Romuald, il a aussitôt préparé un sac de randonnée et m’a conduite ici, de retour dans la montagne. J’aime nos échappées, d’autant quand le printemps fait éclater les paysages autour de nous. Oui, quelque part, c’est fuir. Mais j’avais besoin de me recentrer et surtout de reprendre la photographie trop longtemps délaissée. Je capture furieusement le moindre bouton d’or, la moindre pâquerette ou toute racine un tant soit peu tortueuse. Je passe de longues minutes à ajuster les réglages de mon appareil pour donner aux cascades que nous rencontrons un aspect soyeux. Ou simplement, des fois, j’invite Rémi à s’asseoir dans les herbes hautes et nous nous vautrons comme s’il s’était agi d’un coussin moelleux. Je respire. Nous ne croisons personne, c’est juste nous et la Nature.

À la mi-journée, nous nous arrêtons pour déguster nos sandwichs sur un surplomb rocheux qui n’est pas sans rappeler notre dernière évasion à la montagne ensemble.

« Tu crois qu’on découvrira une grotte ici aussi ? » je plaisante.

« Ce serait sympa, mais ça gâcherait un peu l’exception qu’était notre première escapade », fait-il avec un clin d’œil.

Je me laisse tomber dans les herbes et viens poser ma tête sur ses genoux. Notre virée ne remonte même pas à six mois et pourtant, j’ai l’impression qu’une vie s’est écoulée depuis. J’ai rejoint la Sédition, j’ai mené des missions dangereuses, j’ai perdu mes amis, pour les retrouver, pour en perdre certains… J’ai l’impression d’avoir plus vécu depuis le début de l’année que dans le reste de mon existence. Ça donne le tournis. À vrai dire, je ne sais pas si cela me plaît. J’ai toujours aimé que les choses bougent, avoir un objectif, et je n’étais clairement pas faite pour le quotidien métro-boulot-dodo. Je voulais mener la vie d’artiste… Et j’ai d’ailleurs un petit sourire en pensant « et tu étais loin d’imaginer la façon dont ton vœu serait exaucé ». Mais là, c’est peut-être un peu trop. Lancer une révolution, faire face à un véritable ennemi, ça rend les choses bien trop concrètes.

Je veux que les choses changent, mais des fois, je me demande si ce n’est pas faire preuve de vanité que de croire que ce que je voudrais est bien pour tous. Vous voyez ce que je veux dire ? J’ai envie que le monde retrouve un équilibre, mais qui suis-je face à des nuées de personnes qui se complaisent dans le chaos ? Des fois, je me demande s’il ne serait pas mieux de précipiter la fin des temps pour mieux reconstruire après. Ça irait peut-être plus vite…

Je cueille une tige d’herbe et m’amuse à chatouiller l’oreille de Rémi avec. Il ne se rend d’abord compte de rien, puis gifle l’air tout à coup, cherchant à chasser un insecte qui n’est pas là. J’éclate de rire.

« Tu n’aurais pas passé l’âge pour ce genre de chose ? », fait-il en me piquant les côtes.

« Il n’y a pas d’âge pour quoi que ce soit », je rétorque en me tordant sous ses chatouilles.

Ça, c’est simple. Être avec lui. Si l’on jouait au jeu des « et si ? », il y a un élément qui, je sais, ferait tout basculer : Rémi. Sans lui, je serais sûrement restée la jeune fille impuissante plaquée contre un mur. En y repensant, est-ce qu’il a fait quelque chose, vraiment ? Non, mais sa présence suffit à me faire gravir des sommets inexplorés. Il est là, pour m’aider à me relever si je tombe et j’ai l’impression que dès que l’on s’éloigne, le pire ne tarde pas à arriver. Je l’embrasse, pour chasser ces pensées. Comment fait-on pour mériter ce genre de personne ? Il reste avec moi quand bien même il n’est pas le bienvenu au sein du village. Pas un reproche, pas un mot, et il continue de m’aider. Pour lui, comme pour moi, c’est évident. On ne peut pas fonctionner l’un sans l’autre. Il n’y a pas besoin de grands mouvements romantiques, pas de prérequis, juste être ensemble. Rien que de l’avoir à côté de moi, j’ai le cœur qui bat la chamade et les mains qui tremblent. Rien que de l’avoir à côté de moi, je sais que je peux combattre des pays entiers.

Mon téléphone vibre et me fait sursauter. C’est Ilham. Je n’en reviens pas que le réseau passe dans cet endroit reculé.

« Oui ?

– Angèle ? Désolée de te déranger, mais tu m’as dit qu’en cas de besoin je pouvais te contacter…

– Oui, aucun problème. Qu’est-ce qu’il se passe ?

– Il y a une nouvelle mission, demain, pour les manifestations. On a besoin d’une photographe… J’ai pensé que tu aimerais participer. »

Ma lieutenant a dit cette dernière phrase d’un ton plus grave. Je l’ai seulement croisée avant de partir pour notre escapade à la montagne et elle avait dû noter une certaine… agitation, chez moi. Est-elle au courant de nos échanges avec Romuald ? Est-ce que Guillaume lui a dit à elle aussi qu’il valait mieux que je parte ? Si les stratèges veulent que je quitte la Sédition, je peux compter sur elle pour leur rendre la tâche très difficile.

Je ne prends même pas un instant pour réfléchir.

« J’en suis. Laisse-moi seulement le temps de rentrer et je serais opérationnelle dès ce soir.

– Très bien ! » fait-elle en raccrochant.

Je suis déjà en train de ranger nos quelques affaires dans notre sac, alors que Rémi, qui a entendu la conversation en haut-parleur, empaquette soigneusement nos déchets. Je ne sais pas si c’est l’enthousiasme d’Ilham, ces quelques jours ensemble avec Rémi ou la colère issue de l’accumulation des événements négatifs de ces derniers jours, mais je me sens l’énergie de dévaler notre montagne en courant. Je suis prête à tout si cela pouvait me permettre d’accomplir plus tôt ma mission et d’aller casser un peu plus les plans du Mur Citoyen. J’ai envie de les titiller, leur rappeler que je suis toujours là, qu’ils ne m’ont pas encore complètement enterrée, ni la Sédition, d’ailleurs.

Rémi me tend la main pour me faire descendre plus vite un rocher. Ensemble, nous dévalons le sentier. Ils peuvent m’enlever mon appartement, ils peuvent saper mon énergie, mes efforts, me plonger dans le coma et même retourner mon meilleur ami contre moi. Mais tant que je suis avec Rémi, j’ai la force de continuer et de faire payer au centuple ce qu’on m’a enlevé.

.

Je n’ai jamais vraiment eu l’occasion de discuter avec Jelani. Le lieutenant des soldats est assis en face de moi dans la camionnette qui nous emmène à la capitale et il semble trop plongé dans ses pensées pour songer à me faire la conversation. À chacune de nos rencontres dans les villages de la Sédition, il avait un sourire sur les lèvres. À présent, sa bouche a pris un pli soucieux. Avec son air sombre et sa carrure impressionnante, il me ferait presque peur.

Nous sommes une vingtaine pour cette mission. Tous volontaires, tous amis avec au moins un des missionnés du 1er mai. Je n’ai pas informé Romuald de ma présence ici, même si je suis convaincue qu’il est déjà au courant, vu son implication dans les plans. Est-ce qu’il s’en fiche ? Est-ce qu’il souhaite qu’il m’arrive quelque chose ou est-ce qu’il s’inquiète pour moi ? Je ne peux pas m’empêcher de me poser la question.

Notre mission du jour est relativement simple, quand on la compare à ma précédente : limiter les exactions du Mur Citoyen pendant la manifestation d’entre-deux tours. Celle-ci est organisée pour dénoncer les résultats du Mur Citoyen, au vu des affaires qui les entachent. À quoi sert ce genre de rassemblement, à part à tendre le bâton pour se faire battre ? Je n’en sais rien. Mais elle aura au moins le mérite d’attirer l’armée du Mur Citoyen trop heureux de décrédibiliser ses adversaires. Quand Jelani nous a présenté la mission, hier, il nous a informés que les organisateurs attendaient une mobilisation de plusieurs milliers de personnes. J’ai soupiré de soulagement intérieurement : au moins, quelques électeurs se rendent compte et s’inquiètent des crimes de notre ennemi. Tout n’est pas perdu.

Une partie de notre groupe parcourra la manifestation pour repérer les fauteurs de troubles, l’autre – des soldats, principalement – sera chargée d’intervenir pour les empêcher de nuire. Le maître-mot est discrétion : plus question de nous percher à des balconnets, nous devons nous fondre dans la foule. Pas de lieu de rendez-vous non plus, nous nous retrouverons demain à la Sédition. Charge à chacun de trouver le moyen de rentrer. Moi et un autre photographe dans le groupe avons la responsabilité de prendre un maximum de photos et vidéos pouvant mettre en cause le Mur Citoyen, ce dans l’espoir encore et toujours de faire réagir la population via les médias. À bien y penser, quand tout cela sera fini, je devrais devenir photojournaliste…  Autant être payée pour ce que je fais ! Je me demande juste comment je pourrais présenter la Sédition sur un CV… Artiste bénévole ? Je glousse intérieurement.

L’arrêt de notre véhicule me sort de ma rêverie. L’intérieur de la camionnette est maintenant tellement silencieux, j’entends mes oreilles qui sifflent légèrement. Les trois soldats et leur lieutenant resserrent les sangles de leur plastron, sous leur veste, avant que Jelani n’ouvre la porte. Je resserre la sangle de mon sac à dos pour faire bonne mesure, puis sors sous un soleil de plomb. Nous sommes dans un arrondissement proche du centre de la Capitale. Les rues goudronnées et les bâtiments de béton sombre cuits sous le soleil me donnent l’impression de débarquer dans un four, alors que nous sommes seulement fin mai. Ça ne servira pas notre cause : les personnes sont toujours plus tendues quand il fait chaud et notre objectif est d’éviter les situations qui dégénèrent. J’enlève ma veste que je fourre dans mon sac et prends aussitôt la direction du centre-ville. Nous avons pour instruction de partir séparément. C’est seulement une fois arrivée sur les lieux de la manifestation que je retrouverai mon binôme : Jelani, en l’occurrence. Une personne pour repérer, une personne pour neutraliser, c’est l’idée. Je m’étais étonnée auprès d’Ilham de la participation de Jelani sur le terrain.

« Est-ce qu’il ne vaut pas mieux que les lieutenants restent en arrière pour coordonner ? »

La chef des artistes avait hoché la tête.

« C’est ce qu’il se passe en général, mais Jelani préfère toujours intervenir. Cette fois-ci d’autant plus qu’il a perdu des hommes lors de la manifestation du 1er mai et que même si ce n’est pas de sa faute, il s’en veut. »

Elle avait ri quand je lui avais annoncé que le responsable des soldats serait mon binôme.

« Deux lieutenants t’ont déjà mise à l’hôpital. Ils doivent vouloir s’assurer qu’il ne t’arrive pas autre chose cette fois-ci. »

J’avoue qu’en mission, le mètre quatre-vingt-dix de Jelani a quelque chose de rassurant, à défaut d’être discret.

J’arrive sur la place du départ de la manifestation. Elle est noire de monde. La foule s’est déjà échauffée : la marche n’a pas encore commencé que déjà j’entends des centaines de voix scander des chants et des slogans dénonçant le Mur Citoyen ou le tournant en ridicule. Les chefs de file perchés sur leur camion suent déjà à grosses gouttes : la journée va être longue et éprouvante pour tout le monde.

Jelani me rejoint bientôt avec deux pancartes. Sur la mienne est écrit « Construisons des ponts et pas des murs entre nous », celle de Jelani : « On ne nous murera pas dans le silence ». J’ai une légère moue que mon binôme remarque.

« On a dû improviser les pancartes au dernier moment, hein. Moi je suis plutôt fier des slogans que l’on a réussi à trouver ! On n’a pas tous le talent des artistes pour les bons mots ! »

Il m’accorde enfin son premier sourire de la journée, assorti d’un clin d’œil. Je les lui retourne.

« Par quoi on commence ? »

Il jette un regard sur la foule avant de me répondre.

« On repère où sont placées les forces de l’ordre sur notre secteur, leur nombre et leur équipement. Si le Mur Citoyen veut décrédibiliser ce mouvement et gagner des points dans les sondages, il fera en sorte d’encourager leur intervention. Leurs soldats chercheront sûrement à les provoquer. C’est déjà ce qu’ils avaient fait la dernière fois. »

Je coince ma pancarte dans mon sac à dos et équipe mon appareil photo d’un téléobjectif. Si l’on vous pose la question, je suis une photojournaliste qui couvre l’événement, rien de plus. Mon matériel a l’avantage de me permettre de zoomer sur certaines situations au loin tout en évitant d’attirer l’attention comme pourraient le faire des jumelles.

Le cortège se met en branle. Un autre binôme est chargé de surveiller la place de départ. Moi et Jelani nous occupons d’un tronçon à deux kilomètres de là. La marche est lente, mais j’en profite pour grimper de temps en temps sur un piédestal et jauger la situation d’en haut tout en faisant quelques photos. Je ne vois pas d’autres Séditieux, mais c’est tant mieux : cela veut dire que le Mur Citoyen non plus, a priori. Je ne vois qu’une marée de personnes, une forêt de bras nus et de fronts en sueur.

Nous marchons comme cela pendant près d’une demi-heure sans que rien de particulier ne se passe. J’observe mes voisins de cortège. Il y a des personnes de tous les âges et de tous les styles. Le lycéen côtoie le retraité, l’ouvrier en casquette avance épaule contre épaule avec le businessman aux lunettes en écailles… Mais je m’étonne quand même d’une chose : le cortège manque de femmes. Étrange… À vu de nez, je dirais que seulement un cinquième des personnes présentes sont de sexe féminin. Pourtant, j’aurais pensé qu’elles se seraient mobilisées au vu des méfaits misogynes de Tanim et comparses que j’avais dénoncés. Peut-être est-ce un hasard ?

Les CRS de l’autre côté des barrières sont sur le qui-vive, mais ont l’air relativement sereins. Pourtant, alors que nous avons parcouru près de sept cents mètres, je repère le premier mouvement dans la foule. Difficile de juger d’aussi loin, mais je reconnais un de nos soldats en prise avec un homme, une brique à la main. J’imagine qu’il a dû vouloir briser une vitrine. Je déclenche aussitôt la vidéo et les vise de mon appareil. Notre soldat arrache la capuche et le keffieh de son opposant et réussit à le bloquer suffisamment longtemps pour que je puisse capter son visage. Bingo. On s’occupera plus tard de vérifier les identités et de les rapprocher ou non des hommes du Mur Citoyen.

Enfin un petit groupe de CRS intervient. Notre soldat a juste le temps de faire tomber son opposant dans une dernière bourrade et de fuir l’endroit. Les hommes en armure ne cherchent pas à le suivre : ils préfèrent se concentrer sur celui qui tenait une brique quelques secondes plus tôt. Alors que l’homme est arrêté, je cherche le membre de notre équipe, mais il a disparu. C’est bien. Nos soldats ont reçu comme instruction de se cacher dans un endroit isolé après chaque intervention. Hors de question d’être suivi ou repéré. Ce procédé est long et fastidieux, mais c’est pour leur sécurité. Pendant ce temps, leur binôme continue de surveiller.

De mon côté, je repère et photographie des personnes légèrement en marge de la manifestation. Comme cette femme qui oublie de fumer sa cigarette en fixant le cortège qui défile devant elle. Elle crapote. C’est peut-être un détail, me direz-vous, mais vous connaissez le prix des cigarettes ? Cette femme n’a pas l’air de l’apprécier, elle se donne juste une contenance. Elle fait semblant d’attendre quelqu’un, mais elle surveille le cortège, j’en suis convaincue. Quand les CRS ont emmené le casseur, elle a passé un coup de fil, le front plissé. Je la vise et presse le bouton déclencheur de mon appareil. Ça peut toujours nous être utile.

Soudain, j’entends des clameurs derrière moi. Des personnes se sont approchées des barrières qui délimitent le cortège et tentent de les ouvrir pour accéder à une autre rue que celles déclarées par les organisateurs. Les CRS sont en train de les repousser. J’ai un doute, mais les contrevenants sont des lycéens, sans même un foulard pour dissimuler leur visage : ça m’étonnerait qu’ils fassent partie du Mur Citoyen. Je prends une photo, dans le doute. Soudain, dans mon viseur, je note une silhouette encapuchonnée qui se glisse entre les manifestants. Elle ne se dirige pas vers la bagarre, mais à quelques mètres, dans l’angle mort des CRS. Les Séditieux chargés de cette zone ne semblent pas l’avoir repérée. Je me tourne vers Jelani et lui désigne discrètement le suspect. Il fend aussitôt la foule. Je suis déjà en train de filmer. L’homme est en train d’escalader la barrière, une matraque apparaissant subrepticement sous sa veste, quand Jelani l’attrape par le fond de son pantalon et le fait redescendre brutalement. L’homme atterrit sur les fesses, mais se relève aussitôt en plongeant une main dans sa poche. Je sens ma gorge se nouer en voyant un éclat argenté dans le soleil. Un couteau. Les réflexes de Jelani sont impressionnants : il bloque le bras de l’agresseur et lui assène aussitôt un coup de poing fulgurant sur la tempe. L’homme chancelle une seconde puis s’effondre dans les bras du lieutenant qui lui arrache sa capuche. Je zoome sur son visage. J’ai presque un sourire : je ne sais pas pourquoi, mais je suis convaincue que cet homme a participé à la torture de nos compagnons. J’espère qu’il a eu mal. Jelani relâche brutalement son opposant alors que les forces de l’ordre approchent et disparaît incroyablement rapidement pour une personne de son envergure. Je le retrouverai dans quelques minutes.

En l’attendant, je continue d’avancer au milieu de la foule. La chaleur est insoutenable et je me sentirais presque mal au milieu de cette marée compacte de gens. Je m’écarte du centre du cortège pour me rapprocher des barrières et respirer un instant. Je vois le visage des CRS de plus près. Ils sont si sérieux ! La mine grave, le regard fixe, la mâchoire crispée, ils se tiennent droits comme des piquets. Je n’ose pas imaginer la température sous leur armure et leur casque. Et puis… Je note une certaine lassitude. Leur bouche a un pli amer. Leurs yeux sont cernés. Ils jettent des regards durs vers le cortège. Maintenant que je suis près d’eux, j’entends les insultes et les invectives des manifestants à leur adresse. « CRS SS ! », « Vous avez pas honte de faire ce métier ? » et tous les noms d’oiseaux qu’il est possible d’imaginer. Ça fait combien de temps que les manifestations durent dans le pays déjà ? Plusieurs mois, mais elles se sont amplifiées à l’approche des présidentielles. J’avoue ne pas les avoir suivies de près. Je repense à Thomas et son œil crevé par un tir de flashball. Je n’arrive pas à m’imaginer la scène. Est-ce que les CRS visent et tirent calmement, ou est-ce qu’ils doivent agir dans l’adrénaline de l’instant ? Mon regard scrutateur finit par m’attirer le froncement de sourcils de l’un d’eux. Je passe mon chemin.

Tout à coup, alors que je m’apprête à escalader un socle de fontaine pour me placer en hauteur, je sens un coude s’enfoncer douloureusement dans mon dos. Je n’ai pas le temps de me retourner que je sens la pression de plusieurs dizaines de corps contre moi et qui me bloquent contre le mur. « Un mouvement de foule », ai-je le temps de penser, avant que les cris des slogans ne soient remplacés par ceux de peur. Je ne lutte pas alors que les mouvements se font plus violents. Je ne peux rien voir, le menton plaqué contre la pierre, mais j’entends des cris et des bruits de bouteilles cassées. Respire. Si tu luttes, tu te feras blesser ou emporter. Je me concentre sur le contact de mes mains contre la pierre et prie pour que mon appareil ne soit pas abîmé dans la foulée. Soudain, l’odeur. L’odeur du feu, de la fumée. Quelque chose brûle et éveille en moi un instinct animal, réduisant à néant mes efforts pour rester calme. J’entends le bruit des flammes. Des cocktails Molotov ! Je cherche à m’éloigner du champ de bataille, mais le rebord de la fontaine me bloque la jambe et je tombe les mains en avant dans l’eau. Le choc est rude, mais ce sont les personnes qui cherchent à fuir qui me terrifient. Elles me piétinent et j’ai du mal à prendre une goulée d’air alors que le liquide me remplit le nez et la bouche. Je lutte et parviens à m’asseoir, repoussant de toutes mes forces les jambes qui essaient de me précipiter à nouveau dans l’eau. L’enfer est à mes côtés. Je vois les flammes à moins de cinq mètres de moi. Ce sont des torches vivantes. Les CRS que je croisais juste avant ont été attaqués. J’en vois se précipiter dans la fontaine, le plastron enflammé par un liquide gluant qui projette de longues flammes. Derrière eux, leurs collègues luttent, bouclier en avant et matraque à la main. Et devant ces boucliers, la folie règne. Je vois les visages hurlants, écrasés contre les parois de plastique renforcé, leurs yeux sont fous, leurs mouvements aussi, ils n’ont plus rien d’humain. Le bruit des chairs s’abattant contre le mur formé par les forces de l’ordre a quelque chose d’irréel. Mon corps me commande de fuir, mais mes yeux restent scotchés à la scène. C’est humain, ça ? Là, ce que je vois. Impossible que les manifestants parmi lesquels je marchais juste avant soient devenus… ça. Un cocktail Molotov franchit la barrière et vient s’écraser à côté de moi, aussitôt éteint par l’eau de la fontaine. Enfin, mon cerveau reconnecte et je recule et trébuche comme je peux jusqu’au rebord. Quand je touche enfin le socle, je vois une barrière s’élever dans le ciel, comme si elle ne pesait rien. Au même moment, une nouvelle explosion de flammes vient embraser les boucliers de trois CRS. La barrière s’abat sur eux. L’un cède, en proie aux flammes et recule. Aussitôt ses collègues reforment le mur. Pas assez vite. Un homme cagoulé est passé, couteau à la main et je le vois plonger la lame au niveau de la nuque du policier qui cherchait à éteindre les flammes sur sa tenue. L’action n’a duré qu’un quart de seconde et déjà le criminel enjambe la fontaine pour la traverser plus rapidement. Je croise son regard. Des yeux noirs et plein de haine. J’ai envie de m’accrocher à sa jambe et de mordre de toutes mes forces. Seule ma raison m’empêche de céder à cette sauvagerie contagieuse qui règne autour de moi. Il détale sans que je ne fasse rien.

Je regarde le CRS qui porte la main à sa gorge et retire ses doigts pleins de sang. Je vois ses yeux sous sa visière. Il a l’air désespéré, terrifié même. Il est debout, sans bouger. Puis soudain ses genoux cèdent et il s’effondre la tête la première dans le bassin.

Aussitôt, je me précipite pour lui sortir la tête de l’eau qui se teinte déjà de rouge. Mue par un instinct sûrement débile, je tâtonne à la recherche de l’accroche de son casque pour lui retirer. Il est inconscient, mais… je ne sais pas… Je ne « sens » pas qu’il est mort. Le sang coule à flots de la plaie dans son cou, par contre. Ses collègues sont trop occupés pour lui porter secours, alors je sors précipitamment ma veste de mon sac à dos et la cale dans le col de son armure, pour appliquer une pression contre la plaie. Je sens mon cœur battre la chamade et mon cerveau m’ordonner de fuir alors que le mur de CRS recule petit à petit. Je vais me faire piétiner. Je pèse de tout mon poids contre le blessé pour le mettre en position assise. Sa tête ballotte, mais je vois ses yeux légèrement s’entrouvrir pour se refermer aussitôt.

« Aidez-moi ! », je hurle en secouant sa tête et ses épaules.

Ses yeux s’entrouvrent de nouveau.

« Aidez-moi ! Je ne peux pas vous porter ! Vous allez vous vider de votre sang et je vais me faire piétiner ! Aidez-moi à vous soulever ! »

Il fronce faiblement les sourcils et fait un mouvement pour poser un genou par terre. Aussitôt je passe mon bras sous le sien et pousse sur mes cuisses pour le relever. J’ai presque tout son poids sur le haut de mon dos. Avec son attirail, c’est 100 kg minimum. Il arrive à mettre un pied devant l’autre et ça m’aide énormément, mais je ne vais pas pouvoir aller bien loin. Nous contournons la fontaine alors que les manifestants qui nous entourent fuient les lieux de la bataille, nous ignorant totalement. J’avise une sorte de galerie marchande aux grosses colonnades. Ça suffira. Je nous traîne jusqu’à l’arrière de la première colonne et le laisse glisser à terre.

« Comment vous enlevez tout ça ? », je demande en cherchant les accroches de ses jambières.

Il a un mouvement pour m’empêcher de le dévêtir.

« Vous pesez deux fois plus lourd avec votre équipement et vu votre état il ne vous sert à rien ! » je hurle. « Comment on l’enlève ? Je ne pourrais pas vous emmener auprès d’un médecin si vous êtes en tenue et qu’on tombe sur d’autres malades ! Il faut vous remettre en civil ! »

Il ne dit rien mais m’indique les points d’attache de son armure d’une main affaiblie. Je les défais rapidement. Au moment d’enlever son plastron, je découvre l’étendue des dégâts de la plaie dans son cou. Ça a l’air profond, ça saigne énormément, mais j’ai l’impression que la lame a manqué l’artère. En fait, je l’espère surtout. Je remets ma veste imbibée de sang.

« Allez, on y retourne ! »

Je reprends son bras pour le placer sur mon épaule et repars. Ça va mieux, sans son équipement. Je lui ai aussi enlevé sa veste de policier pour ne laisser que son t-shirt blanc qui ne l’est plus vraiment. Dans la confusion, les manifestants violents ne devraient pas trop s’y pencher. Mais où aller ?

Je sens soudain une main glisser le long de mon bras. Je manque tomber sous la surprise, puis découvre que c’est Jelani qui aussitôt transfère le poids du policier sur ses épaules. Je crois que je n’ai jamais été aussi reconnaissante de toute ma vie.

« Viens », lance-t-il seulement.

Je le suis alors qu’il navigue entre les pavés épars, les débris de verres et les pancartes abandonnées. Je n’ai aucune idée de ce qu’est devenue la manifestation ni de ce qu’il s’est passé. Nous parcourons plus d’une centaine de mètres sans croiser personne d’autre que deux manifestants blessés fuyant les lieux en claudiquant.

« On dirait qu’il y a eu un raid aérien », je souffle.

Jelani ne répond pas, mais continue d’avancer résolument. Finalement, à l’angle d’une rue, nous tombons sur des camions de CRS. Seuls les conducteurs semblent encore présents. Jelani fait un signe dans leur direction. Ah non, je me trompais, en fait quatre nouveaux policiers apparaissent et nous mettent en joue.

« Angèle. Ce serait trop risqué de le poser, je crains de faire un geste qui leur déplaise », souffle Jelani. « Lève les mains en l’air, pose doucement ton sac par terre et avance pour leur expliquer. »

J’ai envie de pleurer. Mais je fais ce qu’il dit. J’avance un pas après l’autre, jusqu’à être à portée de voix.

« Nous avons un de vos collègues », je crie d’une voix chevrotante. « Il est sérieusement blessé et en train de se vider de son sang. On veut juste vous l’emmener. »

Je recule et lève le visage du CRS de nouveau inconscient pour que ses collègues puissent le reconnaître. J’espère que ça suffira.

Deux policiers rompent enfin le rang et s’approchent pendant que les autres nous gardent en joue. Ils prennent leur collègue chacun par un bras puis font demi-tour. Au dernier moment, l’un d’eux relève la tête et plante son regard dans le mien.

« Vous ne voulez pas être soignée ?

– Hein ? »

Il lève les yeux vers mon front. Je passe ma main dessus puis la retire. Mes doigts sont poisseux de sang chaud. Je repasse ma main. Je sens les contours d’une plaie. Oula. Oula, je ne me sens pas bien là. Le sol penche. J’atterris durement sur les mains et aussitôt vomis. Heureusement, ça fait plusieurs heures que je n’ai rien mangé. Le CRS me jette un regard vaguement dégoûté puis nous fait signe de le suivre. Jelani m’aide à me relever et me soutient jusqu’à l’arrière des camions bleu marine. Une fois à l’abri, ils étendent leur collègue sur un brancard improvisé.

« Les pompiers ont été prévenus. Ils sont en chemin. »

Je hoche la tête. L’homme qui a parlé sue à grosses gouttes et je ne pense pas que ça soit seulement à cause de son armure. Je note des taches sombres sur sa tenue. Il était dans les affrontements.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » lâche-t-il d’un ton sec sans cesser sa surveillance des alentours.

J’hésite mais lui décris l’attaque de son collègue. Est-ce qu’il va me croire ? Est-ce qu’il va penser que je n’aurais pas dû lui retirer sa tenue ? Ça coûte combien ces trucs-là ? Son visage conserve une expression impassible pendant mon récit. Il n’ajoute pas un mot quand j’ai terminé. Une longue minute s’écoule dans le silence, avant que le blessé ne pousse un geignement de douleur dans son inconscience. Les traits de son collègue s’adoucissent un instant pour exprimer l’inquiétude, puis reviennent rapidement à la colère contenue.

« Les fils de chien », souffle-t-il.

J’ose une question d’une voix timide.

« Qu’est-ce qui a commencé l’émeute ? Je n’ai rien vu venir.

– Une attaque groupée. Plusieurs encagoulés sont venus nous affronter en face à face. On a réagi, mais on ne maîtrisait pas encore la situation qu’une deuxième vague est arrivée avec des cocktails Molotov. »

L’autre policier en surveillance se tourne un instant pour intervenir.

« On aurait pu jurer qu’ils étaient organisés. Une vraie petite armée. Avec l’infanterie de pavés et la cavalerie de Molotov. »

J’ai un coup d’œil pour Jelani qui m’adresse un signe discret de dénégation. Évidemment, on ne parle pas de ce que l’on sait.

« On n’est pas des soldats », reprend le CRS, dans sa barbe. « Et on va sûrement pas risquer nos vies pour le prix auquel on est payés. »

Son collègue lui jette un regard de reproche. Je préfère faire diversion.

« Il y a beaucoup de manifestants blessés ? »

Le premier CRS hausse les épaules.

« Comme d’habitude, trop des mauvais et pas assez des bons. Les encagoulés savent ce qu’ils font, ils disparaissent sans prendre un coup. C’est les autres qui prennent les flashballs et les matraques. Les blessés, c’est ceux qui n’étaient pas venus pour se battre, mais qui se sont laissé entraîner par la violence ambiante. Ou alors ceux qui étaient au mauvais endroit au mauvais moment. »

Je vais regretter cette question. Au pire, je la mettrai sur le compte de ma blessure à la tête.

« Et vous ne pouvez pas faire mieux ? Attendre de voir si la personne est armée avant de tirer ? J’ai un ami qui a perdu un œil comme ça, il n’avait rien fait ! »

Mais pourquoi je fais ça ? Cependant, mon interlocuteur ne semble pas s’offusquer. Il répond d’un ton blasé.

« Vous étiez au milieu de la bataille tout à l’heure, non ? Vous arriviez à distinguer une personne d’une autre vous ? Maintenant, essayez avec notre attirail et quand vous avez trois personnes qui veulent vous égorger… On fait ce qu’on peut pour assurer notre sécurité et celles des innocents. C’est pour ça qu’on fait ça. Quelqu’un qui est du côté de l’attaque et qui n’est pas armé, on ne peut qu’essayer de ne pas l’abîmer, mais pas au détriment de la sécurité de mes collègues ou de celle des passants dans les rues. »

Il désigne du menton son collègue allongé.

« Vous avez vu ce qu’ils lui ont fait dès qu’ils ont eu une ouverture. Ils sont trop nombreux à vouloir notre mort, parce qu’ils pensent qu’on représente les forces armées d’un gouvernement. Moi je me suis engagé auprès de l’État. Pas d’un parti politique. Moi je suis là pour protéger des gens qui n’ont rien demandé. Je ne suis pas venu ici pour mourir au nom d’une cause qui n’est pas la mienne. La manifestation aujourd’hui, c’était contre le Mur Citoyen, moi j’ai jamais voté pour eux. Moi non plus, je ne veux pas qu’ils passent. Moi je serais probablement dans le cortège, si j’avais fait un autre métier. Mais je suis CRS et en face, il y a des personnes qui veulent ma mort depuis des mois maintenant à cause de ça. Quand je les empêche de passer une barrière, c’est pas pour les empêcher de s’exprimer ou de manifester, c’est pour protéger les passants ou les commerçants derrière. Et je reçois des coups pour ça. Maintenant, en plus, ils s’organisent, comme si on était une armée à défaire. Moi j’ai pas rejoint l’armée, j’ai pas signé pour ça. »

Il a sans doute l’impression d’en avoir trop dit, car il se remet en position de surveillance et évite mon regard. Cela ne m’empêche pas de continuer mes questions.

« Et pourquoi ne pas démissionner ? »

C’est son collègue qui répond.

« Parce qu’on est CRS, que ça paye nos factures, nos crédits et le repas de nos enfants et qu’on est bloqué dans un système qui nous empêche de faire autre chose, comme tout le monde. On en peut plus de nous faire insulter pendant des heures à chaque manifestation. Des collègues se sont tués à cause de ça. On n’en peut plus, mais on n’a pas le choix. Moi, je pourrais pas changer de service, parce que c’est mon truc, d’être CRS, mais c’est pas pour taper sur du manifestant. Moi ce que je veux, c’est protéger les innocents des malades qui leur veulent du mal. Mais c’est dur de voir que ceux que tu protèges se retournent contre toi parce que t’as des ordres et que ces ordres, ils les comprennent pas. C’est dur. On est des hommes, pas des soldats. »

Notre conversation est interrompue par des sirènes puis l’arrivée de deux pompiers accompagnés d’un médecin. Ce dernier examine aussitôt le blessé. Je déchiffre un certain soulagement sur son visage. Un signe en direction des deux pompiers et ceux-ci s’occupent de charger l’homme sur leur brancard. Pendant ce temps, le médecin se tourne vers moi, me fait asseoir sur un bloc de béton et prend mon visage entre ses mains sans ménagement. Je le laisse examiner ma plaie.

« Je vais vous poser des bandelettes pour contenir le saignement. Trouvez un généraliste pour vous faire des sutures le plus rapidement possible. Si je vous emmenais à l’hôpital, vous passeriez plus de six heures à attendre qu’on s’occupe de vous, vu le cataclysme ambiant. Et passé six heures, aucun médecin ne vous fera de suture. »

Il lâche mon menton brusquement, pose rapidement une bandelette pour refermer les bords de ma plaie et suit les pompiers qui sont déjà partis en courant. Les deux autres CRS ont disparu. Dommage, j’aurais souhaité continuer notre conversation. À défaut, je regarde Jelani avec un petit sourire en coin.

« Bon, on va le trouver ce docteur avant que je ne me vide de mon sang moi aussi ? »

Le lieutenant des soldats m’aide à me relever tout en sortant un téléphone de sa poche. Il me répond alors qu’il porte l’appareil à son oreille.

« On va rentrer tout de suite et tu te feras soigner à la clinique de la Sédition. Hors de question d’être le troisième lieutenant à t’abîmer en mission, ou Alexandra va finir par tous nous virer. »

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2 commentaires sur “Chapitre 27 – Le jour des soldats

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